Faux avis TripAdvisor : quels enjeux & risques pour l'hôtellerie-restauration ?
Après la condamnation en juin dernier à 8.000€ d'amende et 9 mois de prison d'une officine italienne qui commercialisait de faux avis, TripAdvisor se félicite de la décision dans un communiqué de presse officiel. « Il s’agit d’une décision historique pour l’industrie des services numériques. Écrire de faux avis a toujours été une fraude, mais c’est la première fois que nous voyons une personne condamnée à une peine de prison » déclare Brad Young, Vice-Président de TripAdvisor.
Mais qu'en est-il réellement de la pratique des faux avis ? Quel est leur impact sur la réputation et l'économie de l'hôtellerie et de la restauration ? Quelles sont les responsabilités de chacun des acteurs ?
"Faux Avis à vendre ou... à offrir"
Le délit récemment sanctionné par le Tribunal de Lecce (Italie) visait le gérant de l'agence Promosalento pour commercialisation de faux avis. Ainsi, les juges ont-ils condamnés, outre la publication de faux avis, la tromperie en direction des consommateurs, le biais concurrentiel induit, et -surtout- la finalité vénale du délit.
Quelques mois avant le début de la Coupe du Monde en Russie, c'est l'agence de marketing Bacon Agency qui -cette fois ouvertement- commercialisait en direction des restaurateurs des villes accueillant les matches de Russia 2018 une offre leur garantissant d'entrer dans les 10 meilleurs établissements locaux au classement TripAdvisor, pour 486€.
Le communiqué de presse de TripAdvisor, se targue de voir enfin condamné ces pratiques initiées par des prestataires de services, mais laisse un voile pudique sur le volume et la nature de tous les autres faux avis, avis mensongers, ou avis calomnieux publiés "gracieusement" sur sa plateforme.
Le secteur de l'Hôtellerie-Restauration sous influence : à l'Avis à la Mort...
Rédigés par des prestataires de services peu scrupuleux, des internautes ou concurrents mal intentionnés, la dernière enquête de la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) révèle un taux d'anomalie de 35% sur le total des avis publiés. Dans le même temps, 74% des internautes déclarent avoir renoncé à consommer un produit ou service après avoir lu des avis négatifs. Ils sont 41% à y avoir succombé après avoir lu des avis positifs. C'est dire que l'influence des avis sur le comportement des consommateurs est bien réelle, et c'est cette réalité préjudiciable qui au centre de toutes les préoccupations et toutes les crispations.
En 2017, en moyenne, seuls 3 avis TripAdvisor ont été déposés par les titulaires de compte français. Pourtant l'impact d'un avis négatif apte à faire fuir 74% des clients potentiels suffit à planter l'enjeu économique pour les acteurs du tourisme et de l'hôtellerie-restauration.
C'est l'importance cruciale de ces avis rapportée aux capacités et moyens de contrôle déployés pour les éradiquer qui est pointée du doigt par les professionnels du tourisme.
Avec humour, comme par cet internaute britannique qui réussit à propulser un restaurant en tête des établissements TripAdvisor londoniens, alors que... l'établissement n'existait pas.
Plus sérieusement, par la directrice du Groupe Bernard-Loiseau et gérante du restaurant Loiseau des Ducs à Dijon qui est parvenue à faire condamner (à 2.500€ d'amende, et 500€ de frais de justice) l'auteur de ce commentaire publié 5 jours avant l'ouverture de son restaurant : "Restaurant très surfait, tout en apparat, très peu de choses dans l'assiette, l'assiette la mieux garnie est celle de l'addition". Malgré avoir informé les responsables de la plateforme du caractère ubuesque de ce commentaire, seule une action en justice a été de nature à le faire dépublier.
La panique et la peur étant mauvaises conseillères, signalons également la curieuse pratique d'un hôtelier français qui avait débité via CB 130€ à son client pour cause de commentaire désobligeant sur son établissement. Ou encore l'Hotel Union Street Guest House à New York qui inclus une pénalité de 500$ dans ses conditions générales de vente, en cas de mauvais commentaire d'après séjour...
TripAvisor : "aviseur avisé", et arroseur arrosé
Conscient du fléau des faux avis, le législateur français exige depuis le 1 er janvier 2018 que les plateformes en lignes soient soumises à des contrôles plus stricts : c’est l’application de la Loi pour une République Numérique votée en 2016 (et le Décret n° 2017-1434 du 29 septembre 2017). Concrètement, les plateformes telles que Tripadvisor devront être très vigilantes sur l’origine des commentaires, aller à la pêche aux faux avis, signaler les commentaires achetés par des professionnels (à cet effet, TripAdvisor communique une adresse mail dédiée : paidreviews@tripadvisor.com), et être entièrement transparentes quant aux critères de classement des établissements.
C'est pourtant bien le modèle économique originel de TripAdvisor que l'on peut incriminer.
D'abord, parce que lors de son lancement la plateforme se présentait comme entièrement gratuite, ouverte et libre, ayant judicieusement -et gratuitement- confié la production de son contenu aux internautes et propriétaires d'établissements. C'est bien aujourd'hui ce même contenu généré patiemment et gratuitement -répétons-le...- par des tiers, qui est la pierre angulaire de sa monétisation. Monétisation en direction de partenaires commerciaux (plateformes de réservation, par exemple), de clients directs (à travers le rachat et la commercialisation de La Fourchette), ou via commercialisation d'options (signalétique, fonctionnalités premium) en direction des propriétaires d'établissement choisissant le modèle payant. Ce sont ces 2 faits, la production toujours plus volumineuse de contenu pour lui assurer une visibilité forte (sur les moteurs de recherche, notamment) souvent au détriment du contrôle et de la déontologie, et la coexistence de clients premium et clients gratuits au sein d'une même plateforme qui sont de nature à biaiser l'équité, l'impartialité ou la déontologie de cet acteur pourtant incontournable pour les professionnels des CHR.
TripAdvisor, éditeur, juge et partie... civile
Partie civile au procès des faux avis payants de Lecce, TripAdvisor semble désormais accorder une importance toute particulière à la véracité des avis qu'il relaie. L'air du temps a changé. Celle de la production kilométrique de contenus à bon marché a vécue, et le législateur a désormais la volonté politique de combattre les fausses rumeurs, le harcèlement, ou l'apologie d'idéologies condamnables. Sur ces critères délictuels, la responsabilité de l'éditeur -en sus de celle de l'auteur- peut désormais être engagée. Laisser paraître de faux avis ayant pour conséquence directe de causer un dommage économique ou moral à un établissement pourrait -sur appréciation des juges- engager la responsabilité de TripAdvisor en sa qualité d'éditeur.
Relativement au mélange des genres et inégalités de traitement entre les comptes gratuits et les comptes payants (cf. La Fourchette), la conviction de Xavier Denamur, restaurateur parisien, est que l’algorithme de TripAdvisor proposant des "établissements meilleurs" juste au-dessous de la fiche de son établissement, est fallacieux. D'abord, parce que les établissement suggérés sont titulaires de comptes La Fourchette payants, ensuite parce que la notion de "meilleur" est strictement subjective et le plus souvent mensongère au regard de critères gastronomiques ou de qualité des produits cuisinés. Le restaurateur reproche ainsi à la plateforme d'utiliser la notoriété de son établissement pour générer des réservations payantes en direction de ses adhérents La Fourchette, et de détourner ainsi sa propre clientèle. C'est à ce titre qu'il attaque actuellement le géant américain en lui demandant pas moins de 10 millions d'euros de dommages et intérêts. Une affaire et un verdict à suivre de très près par tous les professionnels des CHR ...
Découvrez nos produits pour Cafés-Hôtels-Restaurants :
> Voir nos Affichages Obligatoires |
> Voir nos Panneaux de Licences |
> Voir nos Documents Obligatoires |
> Voir tous les Produits MCA Group |
- Pascal Segarra